J’ai testé le cuir de pomme : retour d’expérience dans mon atelier 

Alexandrine croquant dans son carnet fait main en cuir de pomme.

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Une alternative écologique au cuir pour la reliure et l’emboîtage

Dans l’univers de la reliure artisanale et de l’emboîtage haut de gamme, le choix des matériaux est une étape clé. Longtemps dominée par le cuir traditionnel ou son équivalent synthétique (le similicuir), cette pratique évolue aujourd’hui vers des solutions plus respectueuses de l’environnement et du vivant.

Parmi les alternatives innovantes au cuir animal, on trouve désormais des matières végétales innovantes : cuir d’ananas (Piñatex®), cuir de raisin, cuir de mycélium (issu de champignons), liège ou encore cuir de pomme. Ces matériaux dits « alter-cuirs » ne cherchent pas seulement à imiter l’aspect du cuir, mais à proposer une autre approche de la matière : plus éthique, plus durable, et souvent plus légère en empreinte carbone.

Le cuir de pomme : un matériau à base de résidus de fruits

Distribué par Schmedt, le cuir de pomme de la marque SIDRA est conçu à partir de déchets de l’industrie agroalimentaire, en particulier les résidus de pommes broyées (marc, un mélange de peau, de fibres et de tiges) (source). Bien qu’il n’existe pas de chiffre précis sur le tonnage total de marc de pomme produit annuellement en France, on peut estimer que plusieurs centaines de milliers de tonnes sont générées chaque année. Ce coproduit est principalement valorisé dans l’alimentation animale, la production de pectine, de bioéthanol, ou encore utilisé en compostage et maintenant dans la fabrication d’alter-cuir végétal. Ces restes de pulpe sont séchés, réduits en poudre, puis mélangés à une base de polymères (des liants en polyester et en PU) pour obtenir une matière souple, résistante, et visuellement proche du cuir lisse.

Utilisable en reliure, en papeterie haut de gamme, mais aussi pour recouvrir des coffrets, des menus ou des écrins, le cuir de pomme offre une surface agréable au toucher, une belle tenue, et une alternative au cuir traditionnel, sans aucun composant d’origine animale (pour en savoir plus : fiche produit du cuir de pomme SIDRA chez Schmedt).

Malheureusement, la production de SIDRA a été brutalement arrêtée par le fabricant. Il reste quelques stocks disponibles, ce qui laisse une fenêtre de test pour les artisan·es désireux·ses de découvrir ce matériau. Pour ma part, j’ai sauté sur l’occasion pour commander des échantillons, dans l’idée de les tester en situation réelle dans mon atelier.

Pourquoi explorer ces nouvelles matières ?

Mon atelier, Forme contre forme, s’inscrit dans une démarche artisanale contemporaine, attentive aux matières et à leur impact. Découvrir de nouveaux matériaux me permet d’enrichir mes créations, de proposer des alternatives responsables à mes client·es, et d’ouvrir la voie à de nouvelles textures, de nouveaux usages.

Le cuir de pomme m’intéresse pour de nombreuses raisons :

  • son potentiel pour habiller les couvertures de carnets et de livres,
  • son aspect visuel élégant pour les menus, écrins et coffrets,
  • la possibilité de l’utiliser en reliure moderne, en emboîtage, ou en création d’accessoires.

Ce type de matériau peut séduire une clientèle sensible à l’esthétique mais aussi à la démarche écologique et éthique, tout en restant compatible avec une production artisanale soignée.

Premiers tests du cuir de pomme en atelier

Pour évaluer concrètement les possibilités du cuir de pomme, j’ai réalisé plusieurs tests techniques dans mon atelier bordelais, en conditions réelles :

Découpe numérique : un test concluant, avec quelques limites

Pour évaluer la précision et la tenue du cuir de pomme SIDRA, j’ai utilisé ma machine de découpe numérique (voir mon article), un outil essentiel dans mes projets à l’atelier. Ne connaissant pas la structure interne du matériau, j’ai réalisé des découpes sur les deux faces. Le résultat a été globalement très satisfaisant : la découpe est nette, les formes tiennent bien sur le tissu mais peuvent se détacher facilement. J’ai constaté une meilleure aspiration du matériau lorsque le recto (la face alter-cuir) était orienté côté aspiration de la table, ce qui facilite un maintien optimal pendant la découpe.

Cependant, une limite importante est apparue : il est difficile, voire impossible, de découper des formes trop petites. La découpe en forme de pomme que j’ai réalisée pour un carnet, d’environ 2 cm de diamètre, me semble représenter le minimum possible pour garder une forme propre, sans déchirure ni perte de précision. Cela exclut donc, pour l’instant, les découpes très fines typographiques ou ornementales, comme c’est souvent le cas avec les similicuirs. En revanche, pour des motifs simples ou des éléments de composition plus larges comme la marqueterie, le cuir de pomme se découpe avec une grande netteté.

Forme évidée d'une pomme, découpée sur ma table de découpe numérique (face recto côté aspiration), dans du cuir de pomme noir (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée d’une pomme, découpée sur ma table de découpe numérique (face recto côté aspiration), dans du cuir de pomme noir (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée d'une pomme, découpée sur ma table de découpe numérique (face recto côté aspiration), dans du cuir de pomme orange (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée d’une pomme, découpée sur ma table de découpe numérique (face recto côté aspiration), dans du cuir de pomme orange (SIDRA), fourni par Schmedt.

Contrecollage sur carton gris : bonne surprise au rembordage

Le test du contrecollage, incontournable en emboîtage et en reliure, visait à observer la réaction du cuir de pomme à la colle, aux plis et à la mise sous presse. À la manipulation, le matériau s’est montré très agréable à travailler : il se pose bien, sans bulles ni tension excessive. Il était recommandé d’utiliser une colle chaude pour ce type de matériau. N’en ayant pas sous la main, j’ai opté pour ma colle habituelle : la Planatol BB, une colle à dispersion que j’utilise pour la reliure et l’emboîtage. Globalement, le cuir de pomme a bien réagi, avec une bonne adhérence et une souplesse suffisante pour épouser les arêtes du carton. Ma principale crainte concernait le rembordage, une étape délicate où les matériaux peuvent se craqueler ou mal suivre les plis. En assouplissant légèrement les bordures avant le collage, j’ai pu obtenir un résultat propre, mais non sans quelques difficultés : le cuir a opposé une légère résistance, probablement liée à l’utilisation de la colle à froid. Il faudra que je refasse ce test avec une colle chaude pour voir si cela facilite davantage cette étape clé.

Étape de mesure avant contrecollage du carton gris sur le cuir de pomme.
Étape de mesure avant contrecollage du carton gris sur le cuir de pomme.
Contrecollage du carton gris sur le cuir de pomme, avec mise sous poids.
Contrecollage du carton gris sur le cuir de pomme, avec mise sous poids.
Rembordage de la couverture en cuir de pomme orange.
Rembordage de la couverture en cuir de pomme orange.
Application de colle au pinceau pour le rembordage de la couverture en cuir de pomme orange.
Application de colle au pinceau pour le rembordage de la couverture en cuir de pomme orange.

Intégration en marqueterie : une belle promesse à explorer davantage

Évidemment, je ne pouvais pas tester un nouveau matériau sans l’essayer en marqueterie, car c’est un peu mon dada. Dans les prochaines semaines, je compte d’ailleurs approfondir cette dimension pour imaginer de nouvelles compositions mêlant différents matériaux, textures et papiers. Pour ce premier test, j’ai fait simple : une forme de pomme évidée sur la couverture d’un carnet orange (le rendu est superbe), avec une pièce découpée dans le cuir de pomme vert, en guise d’incrustation. Résultat : facile à manipuler, le matériau se découpe bien, se contrecolle sans problème, et se place avec précision dans la forme évidée. Ce premier essai me conforte dans l’idée que le cuir de pomme peut très bien s’intégrer dans des compositions en marqueterie contemporaine. Il faudra toutefois que je pousse un peu plus loin pour tester sa réaction dans des motifs plus complexes, avec des pièces plus fines ou des effets d’imbrication plus travaillés.

Forme évidée d'une pomme dans du cuir de pomme vert (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée d’une pomme dans du cuir de pomme vert (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée et silhouette pleine d'une pomme, découpées dans du cuir de pomme orange (SIDRA), fourni par Schmedt.
Forme évidée et silhouette pleine d’une pomme, découpées dans du cuir de pomme orange (SIDRA), fourni par Schmedt.

Couture à la Singer industrielle : aussi solide que de la toile de reliure

J’ai voulu mettre à l’épreuve la résistance du cuir de pomme à la couture machine, en utilisant ma Singer industrielle (voir mon article) pour relier un carnet. Le but était de voir si le matériau se déchire, marque sous l’aiguille, ou s’il peut supporter une couture sans compromis. Verdict : aucun souci, le cuir de pomme s’est comporté comme une toile de reliure classique. Les points sont nets, réguliers, sans déformation, et la matière reste stable et souple même après plusieurs passages. C’est donc une excellente surprise qui ouvre la voie à d’autres expérimentations, notamment avec des coutures manuelles décoratives ou des finitions plus complexes — que je testerai dans un second temps, mais je suis déjà très confiante sur le rendu à venir.

Couture Singer du carnet avec couverture en cuir de pomme orange et marqueterie en cuir de pomme vert.
Couture Singer du carnet avec couverture en cuir de pomme orange et marqueterie en cuir de pomme vert.
Zoom sur la reliure du carnet en cuir de pomme.
Zoom sur la reliure du carnet en cuir de pomme.

Astuce d’atelier : pour éviter toute résistance entre le cuir de pomme et le guide en bois protégé au scotch (souvent un peu accrocheur), je glisse un petit morceau de papier découpé en équerre, qui n’adhère pas et permet une couture fluide sans décalage.

Marquage à chaud : une excellente surprise avec ou sans film de dorure

Dernier test dans ma série d’expérimentations : le marquage à chaud, avec et sans dorure. C’est un point essentiel dans mon travail, car j’utilise souvent cette technique pour signer mes créations, personnaliser des coffrets ou apporter une touche précieuse à un carnet, écrin, porte-revues. Et le cuir de pomme SIDRA a réagi à merveille : que ce soit avec dorure ou simplement en gaufrage à sec, le rendu est net, précis, et élégant. Les détails fins ressortent bien, le cuir ne brûle pas, ne cloque pas, et garde une belle définition. La matière semble parfaitement compatible avec les presses à chaud que j’utilise à l’atelier (voir mon article), ce qui ouvre de nombreuses possibilités graphiques et décoratives.

Marquage à chaud doré sur cuir de pomme noir.
Marquage à chaud doré sur cuir de pomme noir.
Marquage à chaud à sec sur cuir de pomme orange.
Marquage à chaud à sec sur cuir de pomme orange.

Et ensuite ? Vers une nouvelle gamme de créations écologiques

Si les résultats sont concluants, je pourrai envisager une petite gamme de carnets, coffrets ou objets d’édition à base de cuir de pomme, en séries limitées. L’idée n’est pas de remplacer totalement mes matériaux habituels, mais d’ajouter une corde végétale à mon arc artisanal, en proposant à mes client·es des alternatives sur demande ou en création sur-mesure.

Carnet finalisé, fait main à l'atelier Forme contre forme : reliure Singer et couverture en marqueterie de cuir de pomme SIDRA (Schmedt), orange et vert.
Carnet finalisé, fait main à l’atelier Forme contre forme : reliure Singer et couverture en marqueterie de cuir de pomme SIDRA (Schmedt), orange et vert.

Conclusion : une matière à suivre de près

Ces premiers tests du cuir de pomme SIDRA confirment son potentiel comme véritable alternative au cuir traditionnel dans les domaines de la reliure, de l’emboîtage et de la création artisanale. Souple, résistant, compatible avec les techniques que j’utilise au quotidien – découpe, couture, marqueterie, marquage – ce matériau m’a agréablement surprise par sa polyvalence et sa simplicité d’utilisation, malgré quelques ajustements à prévoir selon les colles ou les détails techniques.

Au-delà de l’expérimentation, ce test nourrit ma réflexion plus large autour de matières écologiques et éthiques, capables de s’intégrer dans des objets soignés, haut de gamme et durables. Même si la production du cuir de pomme SIDRA est aujourd’hui interrompue, je suis heureuse d’avoir pu en explorer les possibilités avant que les stocks ne s’épuisent, et j’envisage d’en conserver une petite réserve pour des créations en séries limitées.

Ce n’est que le début : j’ai déjà en tête plusieurs projets mêlants alter-cuir, marqueterie contemporaine et édition artisanale… À suivre très bientôt à l’atelier Forme contre forme !

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Bon dimanche à tous·tes

À très bientôt

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