Quand on imagine un objet, une création artisanale ou une pièce graphique, tout semble limpide dans notre tête. Mais entre l’idée et le résultat final, il y a un monde : celui des essais, des ajustements, des doutes parfois… et des solutions ! C’est là qu’intervient le prototypage, une étape essentielle et pourtant souvent négligée, voire refusée par beaucoup de prestataires.

C’est quelque chose que j’ai entendu trop souvent : des graphistes, des artistes, des architectes ou des artisan·es cherchent à faire produire un projet unique ou une toute petite série, et on leur répond non. « Non, on ne prototypera pas pour une seule pièce. ». « Non, c’est trop de travail pour un projet qui ne “vaut pas le coup”. ». Résultat : des idées restent au stade de l’esquisse, faute d’un accompagnement adapté.

Je souhaite que cela change. Dans mon atelier Forme contre forme à Bordeaux, le prototypage fait partie intégrante du processus — peu importe la taille du projet. Parce que j’y crois, parce que j’aime ça, et parce que je sais à quel point c’est une étape clé pour donner corps à une idée.

Dans cet article, je vous explique pourquoi le prototypage est bien plus qu’une simple maquette : c’est le point de bascule entre l’intention et la création.

Dos recouvert d’une toile de reliure blanche pour le prototype de porte-revues.

Qu’est-ce que le prototypage ?

Le prototypage joue un rôle crucial dans le processus créatif, car il permet de tester des idées et de visualiser concrètement le projet avant sa réalisation finale.

En effet, avant de parler de création finale, on parle de prototype. Aussi appelé « maquette en blanc », le prototype est une version test d’un projet, réalisée la plupart du temps sans finitions (pas d’impression, pas de dorure). Il permet de travailler les matières, la forme, les dimensions, les volumes et les mécanismes, sans se soucier encore des procédés de finitions.

C’est un peu comme si on faisait une version « brouillon », grandeur nature, avec les matières du projet définitifs pour mieux comprendre comment chaque élément va fonctionner ensemble. Le but est de se concentrer sur la validation de tous les choix de ses matières en cohérence avec l’objet souhaité.

Même dans les secteurs les plus prestigieux, cette étape est incontournable. Dans les grandes maisons de luxe ou de mode — Hermès, Chanel, et bien d’autres — on parle de maquettes ou d’échantillons blancs, réalisés à la main avant tout lancement de collection ou d’emballage.

Travail de précision sur les finitions du prototype.

Pourquoi prototyper ? Les bénéfices concrets.

Prototyper, ce n’est pas « perdre du temps », c’est investir dans la réussite du projet. Le prototypage n’est pas une invention moderne. Déjà à la Renaissance, Léonard de Vinci réalisait des maquettes en bois ou en métal pour tester ses idées (p. ex. machines volantes, ponts, systèmes hydrauliques). Ces prototypes lui permettaient d’anticiper les mouvements, les contraintes mécaniques, voire les échecs. Dans l’univers du design produit ou de l’ingénierie, on entend souvent que jusqu’à 80 % des coûts d’un projet seraient déterminés dès la phase de conception. Cette idée largement diffusée mérite d’être nuancée : si le design joue effectivement un rôle majeur dans la maîtrise des coûts, d’autres facteurs comme les choix de fabrication, les matériaux ou l’organisation du travail ont eux aussi leur poids (Ulrich & Pearson, Does Product Design Really Determine 80% of Manufacturing Cost ?).

Reste que le prototypage est un moment clé pour éviter les erreurs coûteuses, surtout dans les projets sur mesure ou en petite série. C’est pourquoi je prends toujours le temps de prototyper chaque projet, même les plus modestes : on affine, on ajuste, on anticipe — et surtout, on conçoit avec la matière entre les mains.

Voici pourquoi cette étape est incontournable dans mon atelier :

Visualiser concrètement l’objet : passer du dessin ou de la maquette sur ordinateur à un volume en trois dimensions.
Repérer les blocages avant qu’ils ne deviennent des problèmes (p. ex. épaisseur, pli, ouverture).
Faire des ajustements sans mettre en péril le projet.
Tester plusieurs options pour affiner un choix.
Éviter les erreurs de production, surtout quand il y a plusieurs exemplaires à réaliser, d’autant plus pour des petites séries.

Fichier structurel réalisé sur ordinateur lors d’un prototypage de coffret de naissance.

Une étape clé dans le processus de création

Dans mon atelier, le prototype intervient après la phase de réflexion et de croquis (dessin ou maquette sur ordinateur). C’est l’étape charnière qui fait le lien entre la conception et la fabrication finale. Il permet de passer de l’abstrait au concret, et d’avoir un premier aperçu réaliste du projet fini.

Je l’utilise par exemple pour :

vérifier le système de fermeture d’un coffret,
tester la reliure d’un carnet ou la forme d’un emboîtage,
ajuster les proportions d’un porte-revue.

Parfois, plusieurs prototypes sont nécessaires, surtout pour des pièces complexes. C’est un va-et-vient enrichissant qui fait mûrir le projet. L’expérience permet de faire rapidement des choix et de proposer également des conseils adaptés pour réduire le nombre de prototype.

Montage du prototype en carton gris avant l’étape de rembordage.

Zoom sur la base de la structure du prototype du porte-revues.

Validation pour passer à la production

Le prototype n’est pas seulement un outil de test, c’est aussi une étape de validation essentielle du projet avec le client. Il permet de s’assurer que tout fonctionne avant de passer à la fabrication finale, sans mauvaise surprise. Et pourtant, cette étape si importante est souvent mise de côté.

Pourquoi ? Parce que dans le cas de petites séries — ou de pièces uniques — de nombreux prestataires refusent de prototyper. Ils considèrent que c’est trop de temps ou d’effort pour une commande peu rentable. Les artistes, architectes, artisan·es qui arrivent avec un projet un peu atypique ou sans volume se heurtent souvent à des portes closes.

J’ai été confrontée à ce type de situation à plusieurs reprises : des projets bien conçus, portés par des personnes motivées, n’ont pas pu aboutir simplement parce qu’aucun prototype n’a été réalisé. Cela montre à quel point cette étape intermédiaire est souvent déterminante dans la concrétisation d’une idée.

C’est justement là que j’interviens : dans mon atelier, je propose systématiquement un prototypage, quelle que soit la taille du projet. Cette étape occupe une place centrale dans ma manière de concevoir un projet.

Finition du montage du prototype en carton gris, juste avant le rembordage.

À quoi ressemble un prototype ?

Un prototype, peut-être un peu brut : on y voit des traces de colle, des traits au crayon, des plis pas tout à fait nets ou avoir un aspect déjà fini. Ce sont ces maquettes brutes qui révèlent les failles, les trouvailles, et parfois même des idées qu’on n’avait pas eues au départ. Il permet de se projeter concrètement sur l’objet final pour le client.

Ajustement de la hauteur des prototypes de porte-revues.

Prototype d’une boîte conçue pour transporter un mobile de bébé.

Ce que le prototypage révèle toujours

À chaque prototype, il y a des surprises. Parfois très positives (une nouvelle idée naît en le manipulant), parfois frustrantes (rien ne fonctionne comme prévu). Dans tous les cas, c’est à ce moment-là que le projet commence à nous parler pour de vrai et de voir notre idée prendre forme.

Vue intérieure des porte-revues finalisés.

En conclusion

Le prototypage, c’est le moment où un projet quitte l’imaginaire pour devenir concret, entrer dans la matière et prendre forme. C’est une étape discrète mais fondamentale, que je prends toujours le temps de soigner dans mon travail, que ce soit pour une création unique ou une petite et moyenne série.

Et si vous êtes de celles et ceux qui ont déjà entendu « ce n’est pas possible », « on ne fait pas ça pour trois exemplaires », ou « revenez quand vous aurez un volume plus grand », sachez qu’ici, c’est possible de l’envisager.

Je veux faire évoluer les choses dans mon domaine, en montrant que l’artisanat peut aussi être un terrain d’expérimentation, d’écoute et de collaboration, même à petite échelle.

Porte-revues vu de profil avec une dorure à chaud noire.

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Bon dimanche à tous·tes

À très bientôt

Le prototypage : une étape indispensable pour donner forme à un projet